Il n’y a aucune filiation directe entre le classique Virgile et lui. Mais les deux ont en commun la conscience de ce que Labor omnia vincit improbus.
L’homme est discret, se contentant de semer dans les jardins de l’excellence. Mais comme la lumière ne peut être mise sous le boisseau, son génie lui a forgé une éloquente réputation qui va de l’ENEAM de Cotonou à l’Université Rennes 1.
Ancien boursier d’excellence du Gouvernement béninois, Alumni de la bourse Eiffel et aujourd’hui Data Engineer en France, Dieu-Donné me fait l’honneur de partager avec nous son expérience en France.
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Bonjour mon cher Dieu-Donné. Merci d’accepter cet échange. Comment te portes-tu en ce moment ?
Bonjour Maurice, je me porte fort bien, en dépit de ce climat printanier qui revêt des apparats automnaux. Merci pour l’impressionnant travail que tu abats dans l’ombre (de moins en moins désormais) pour faire connaitre les bourses d’études dans le monde, en particulier la bourse Eiffel.
Tu es en France depuis 2021 grâce à la bourse Eiffel du Gouvernement français. Peux-tu m’en dire davantage sur ton parcours académique d’avant l’expérience hexagonale ?
J’ai effectué le clair de ma scolarité (du primaire et du secondaire) à Dangbo, ville où je suis né et où j’ai passé mes quinze premières années au milieu d’une nuée de livres de toutes sortes, étant le fils d’un père qui a toujours pensé que l’excellence académique est un impératif à la réussite.
J’ai ensuite quitté cette ville pour celle de Porto-Novo où j’ai passé mon baccalauréat avant de poursuivre mon cursus à Cotonou avec une licence en Informatique de Gestion à l’ENEAM.
Je sais que la MIAGE de Rennes a un partenariat avec l’ENEAM. Est-ce ainsi que tu as découvert la bourse Eiffel ? Qu’est-ce qui t’a motivé à postuler ?
Eh bien non. Je ne connaissais pas du tout la bourse Eiffel, et je dois avouer que je n’étais pas activement à la recherche d’une bourse d’étude alors.
J’ai reçu l’appel d’un camarade et ami qui m’a expliqué m’avoir ajouté à un groupe WhatsApp créé à la demande de l’ancien directeur académique (DA) de l’ENEAM. C’est dans ce groupe que j’ai pris connaissance de l’existence de cette bourse et du fait qu’il me fallait préparer un dossier pour y postuler.
J’ai également appris que mon camarade et moi avions été retenus car nous étions respectivement major et vice-major de promo à l’issu de notre licence à l’ENEAM.
Comment s’est passé le processus de candidature ?
Plus facile que la majorité des candidats africains et plus particulièrement béninois. Pour avoir accompagné quelques-uns dans leur candidature à la bourse Eiffel plus tard, je sais qu’il n’est pas toujours aisé d’obtenir des administrations de nos établissements des documents tels qu’une attestation de rang qui sont pourtant indispensables à la candidature à cette bourse.
En ce qui me concerne, grâce au fait que le DA de l’ENEAM et le responsable de la MIAGE de Rennes échangeaient sur la procédure et les documents nécessaires à celle-ci, mes demandes étaient traitées avec une grande célérité. Cela a permis de lever plusieurs goulots qui auraient pu ralentir ma candidature à la bourse Eiffel.
Puisque tu parles justement de candidature, qu’est-ce qui, selon toi, faisait la qualité de ton dossier ?
Sans fausse modestie, je dirai que mon projet professionnel était (et demeure d’ailleurs) fort intéressant. J’y crois fermement et je ne l’ai pas rédigé pour la bourse Eiffel. Je l’avais en tête depuis toujours.
Il s’agit d’un réel projet, bien mûri et qui n’avait pas vocation à seulement m’aider à postuler à la bourse. Et je ne t’apprends rien en disant que le projet professionnel est tout aussi important (sinon presque plus) que le rendement académique lorsqu’il s’agit de candidater à la bourse Eiffel.
En 2021, tu arrives à Rennes. Quelles étaient tes attentes, notamment en ce qui concerne ta formation ? Ont-elles été satisfaites ?
Elles étaient multiples. Je voulais surtout ce parcours qui n’est toujours pas disponible au Bénin et que j’estime indispensable à mon projet professionnel. Je voulais également la meilleure formation qui puisse être, une formation qui allie une part conséquente de pratique, la dose nécessaire de théorie et qui me permettrait d’être autonome dès la fin de ma formation.
Ai-je été satisfait ? Hum, cela reste mitigé. Une excellente formation, certes, encadrée par des enseignants émérites dans un cadre qui stimule l’intérêt pour la science. L’ISTIC jouxtant l’IRISA, l’un des plus grands laboratoires de recherche en informatique d’Europe, où j’ai d’ailleurs effectué quelques mois de stage.
Toutefois, quelques améliorations sont nécessaires pour permettre aux étudiants de tirer le meilleur parti de leurs études à l’ISTIC. Et je suis ravi de constater que de nombreuses actions sont menées dans ce sens, comme la création d’un nouveau parcours typiquement axé sur l’Intelligence Artificielle dès la rentrée académique 2024-2025 et bien plus encore.
En quoi le programme MIAGE de l’université de Rennes a-t-il enrichi tes connaissances et compétences ?
Pour ce qui est du bagage intellectuel dans la Data et l’univers du traitement et de la valorisation de la donnée, je voyageais léger. Même si mon intérêt pour la discipline n’a jamais souffert d’aucune approximation. Mon aventure à l’ISTIC m’a donné les rudiments de la chose. Rudiments, qui finiront par devenir la pierre angulaire de ma carrière et de ma spécialisation en tant que Data Engineer.
Boursier Eiffel, tu as réussi à exceller hors du confort cotonois de l’ENEAM. Quels étaient été les principaux défis que tu as dû relever pour y arriver ?
Il fallait s’adapter au nouveau rythme de travail qui est singulièrement différent de celui que j’ai toujours connu. Ce fut relativement aisé. Mon statut de boursier Eiffel aidant, je n’ai pas eu à travailler en parallèle de mes études, une aubaine dont ne bénéficient pas nombre de mes camarades.
Il m’a également fallu me construire une nouvelle méthodologie de travail. À Cotonou, j’avais des amis avec lesquels je travaillais. Cela m’épargnait de devoir tout comprendre tout seul en cours. Je dirai que c’était du traitement multithread. J’ai dû réapprendre à le faire seul avant de me faire de nouveaux amis avec qui on a formé des groupes pour continuer à travailler et s’exercer ensemble.
Doit-on comprendre que ton adaptation en France s’est bien passée, en particulier grâce au soutien financier de la bourse Eiffel ?
Oui, totalement. J’ai pris mes aises à bien des égards. Après près de trois années, je suis plus à l’aise avec beaucoup de procédés qui au prime abord me semblaient d’un autre monde.
Mais, elle continue encore, je me surprends toujours à vouvoyer mon patron au boulot, alors qu’il m’a seriné de ne point le faire. Des réminiscences de mon éducation africaine. Ce n’est cependant pas une mauvaise chose en soi.
Outre les stages, tu étais très actif dans la vie et les associations étudiantes. Quelles expériences en as-tu tiré ?
J’ai été membre de la FSE (Fédération Syndicale Étudiante) pendant mes deux années de Master. Ce fut une belle expérience qui m’a permis d’aider bien des gens qui sont devenus des amis, avec différentes situations.
Nous avons également aidé à décanter nombre de situations litigieuses entre l’administration et des étudiants. Ça participe grandement à l’épanouissement et à l’intégration au sein de la communauté. L’excellence n’est pas qu’académique elle est sociale avant tout.
Cela fait quelques mois que tu n’es plus étudiant. Un doctorat est-il envisagé, peut-être avec la bourse Eiffel ?
Eh bien non, au grand dam de mon responsable de formation qui n’a ménagé aucun effort pour que je m’y intéresse. L’objectif à moyen terme est de mettre en branle mon projet, et le doctorat n’est pas indispensable à sa mise en œuvre.
Quelles compétences spécifiques as-tu acquises pendant ta formation MIAGE qui te sont particulièrement utiles aujourd’hui ?
Oh, je ne pourrais être exhaustif en répondant à cette question, tant elles sont nombreuses. De la collecte à la visualisation de données en passant par la préparation ou le traitement de données massives.
J’y ai également appris la conception et l’entrainement de modèles d’intelligence artificielle. Mais les compétences que j’emploie au quotidien sont celles liées à l’intégration de données.
De ton expérience, y a-t-il un versus entre le système béninois et le système français ?
Oui, la différence est remarquable. Elle est relative à disponibilité d’un emploi du temps rigoureusement suivi par le corps professoral et au rapport étudiant-professeur qui est beaucoup plus souple en France.
Ces facteurs peuvent sembler bénins, mais ils sont décisifs dans l’expérience de l’étudiant et participent ipso facto à améliorer son rendement. Pouvoir dialoguer sans cette divinisation ou presque de l’enseignant facilite la communication à bien des niveaux.
Brille-t-on systématiquement en France quand on vient d’Afrique ? Quelles sont les clés pour exceller dans ses études, où qu’on soit ?
La réponse est négative. Les conditions dans lesquelles on évolue déterminent notre rendement académique, que l’on soit en Afrique ou en France.
Il faut un environnement et des conditions propices à l’apprentissage. Il faut également y consacrer du temps, beaucoup de temps.
Tu es maintenant Data Engineer. A-t-il été facile de te faire recruter juste après ta formation ?
Relativement facile, pour la durée de ma recherche d’environ deux mois, dans une période où la demande sur le marché explose en raison de la fin des cycles d’études.
Ton statut d’alumni de la bourse Eiffel a-t-il eu une quelconque incidence sur ton recrutement ?
Absolument pas, je doute d’ailleurs que mon manager sache que je suis boursier du gouvernement français. Il faut dire que je n’en fais cas que fort rarement.
Data Engineer. En quoi consiste ton métier ? Et quelles sont tes responsabilités en entreprise ?
En une phrase, je dirais que j’ai pour mission de collecter, d’aseptiser et de rendre disponible la donnée au sein de l’entreprise. Plus précisément, je travaille au quotidien sur des tâches d’intégration de données de sources diverses dans des modèles de données prévus à cet effet. L’impact de mon travail est de permettre à l’entreprise d’évaluer son rendement et l’évolution de ses objectifs tout au long de l’année.
Il est donc de ma responsabilité de mettre à disposition des Data Analysts, des données propres et facile à agréger ou à interpréter pour mettre en évidence les KPI de l’activité des différents travailleurs de l’entreprise. En somme, je fais parler les données.
Quels sont les projets les plus passionnants sur lesquels tu as travaillés depuis que tu as rejoint ton entreprise ?
Bien que je ne sois dans l’entreprise que depuis moins de six mois, j’ai déjà mené de bout en bout un projet d’anonymisation de données personnelles. Cette initiative vise à respecter les normes en matière de traitement des données à caractère personnel en vigueur en Europe, telles que décrites dans le RGPD.
L’objectif est d’identifier, selon plusieurs critères, les données utilisateurs qui ne seront bientôt plus légalement exploitables, et de procéder à leur anonymisation. Cela consiste à rendre totalement impossible l’identification directe ou indirecte d’une personne physique ou morale à partir de ses données personnelles.
Ce résultat est atteint en appliquant divers algorithmes de hachage et différentes techniques de manipulation des données afin d’en biaiser le contenu sémantique. Il est également possible de procéder à une suppression pure et simple de ces données selon les besoins de l’entreprise.
J’ai également travaillé sur l’optimisation de nombreux jobs d’intégration de données afin d’en améliorer l’efficacité en termes de ressources disponibles, mais aussi de temps d’exécution.
La Data Engineering va-t-elle changer le monde ?
Le Data Engineer est au cœur du processus de valorisation de la donnée. L’exploitation des données étant la nouvelle panacée, ce métier est le système cardiovasculaire qui irrigue les autres organes du domaine en données fiables, de qualité et disponibles en temps réel. Nous assistons à la montée fulgurante des IA qui constituent la nouvelle révolution depuis internet.
Eh bien, il n’y a pas de model d’IA sans données d’entrainement. Va-t-elle changer le monde, non. Elle le fait déjà. Continuera-t-elle ? Je dirais qu’avec la quantité sans cesse croissante de données que nous générons et continuerons à générer au quotidien, le métier a encore de beaux jours devant lui.
Dieu-Donné, quels sont tes objectifs professionnels à court et moyen terme ?
Le métier de Data engineer, demande beaucoup de compétences dans un vaste éventail de technologies. L’objectif immédiat est de développer mes compétences dans de nouvelles technologies avec lesquelles je ne suis pas encore familier.
Vois-tu, il m’a toujours paru comme une évidence qu’il me faut être le meilleur dans tout ce que je fais. Et à défaut d’être le meilleur, je serai le moins mauvais. Bien que cela pourrait sembler hors d’atteinte, les résultats que je tutoie déjà me confortent dans cette vision.
Il y a donc des domaines spécifiques de la tech ou des projets personnels que tu aimerais explorer à l’avenir. Dis-m’en plus.
Je reviendrai sans l’ombre d’un doute à l’intelligence artificielle. Actuellement, en tant que Data Engineer, j’ai acquis une solide expérience dans la gestion et la manipulation de grandes quantités de données.
Cependant, je suis particulièrement attiré par les opportunités offertes par l’IA et je souhaite m’orienter vers des projets qui exploitent cette technologie de manière innovante. Le traitement du langage naturel et la vision par ordinateur (Computer Vision) sont deux vecteurs de cette discipline qui concourront grandement à la mise en place de mes projets futurs.
Qu’il est intéressant de lire les personnes passionnées ! Quels conseils donnerais-tu aux étudiants qui envisagent de postuler à des bourses d’excellence comme le programme de bourse Eiffel ?
Je leur dirais qu’il ne suffit pas d’être excellent en classe. Les compétences sociales et l’intérêt pour la vie associative sont une nécessité pour l’épanouissement intellectuel.
Et la plupart des bourses en tiennent compte comme critère discriminant lorsque l’excellence devient ‘‘triviale’’. A travers le monde, les étudiants brillants sont légion. Le projet professionnel et votre inclusion sociale peut faire toute la différence.
Qu’est-ce qui passionne le plus Dieu-Donné dans son travail au quotidien ?
Les bonbons au bureau ! Rires. On a ce bac rempli de confiseries au bureau qui me passionne tout particulièrement.
Plus sérieusement, j’aime savoir que mon travail a un impact réel sur les résultats de l’entreprise. J’ai la chance de travailler dans un cadre où je suis au contact du métier.
Je peux évaluer l’impact d’un “build qui a échoué en prod” (encore ce jargon obscur) hier sur le chiffre d’affaires de la semaine. Ça peut s’apparenter à une pression supplémentaire, mais je vis la chose comme une nécessité de bien faire et de fournir de la qualité.
Tu as failli m’avoir avec tes bonbons. C’est aussi l’un de mes péchés mignons. Dis-moi à présent quelles sont tes sources d’inspiration, en particulier dans le domaine de la technologie et de l’innovation.
J’aurais pu citer Elon Musk. Il incarne ce grain de folie qui empêche bien des projets de passer l’étape d’idéation.
Mais je dirais Ulrich SOSSOU. On partage plus de points communs. Il est Béninois aussi, et est la preuve, selon moi, que réussir à s’élever au-delà du simple carcan béninois n’est pas de l’ordre de l’impossible. Je me garde toutefois de limiter mon horizon au seul monde la tech. Des gens inspirants sont rarement informaticiens.
Et toi, Maurice (ou LeBoursier), tu fais partie de ces personnes dont le parcours est prodigieusement inspirant dans ta façon de faire de petites choses avec grandeur. D’ailleurs, il me tarde de lire ton interview sur ta propre personne.
Haha, tu me flattes, mon cher. Mais je préfère être la nuit qui fait briller les étoiles comme toi. Puis-je à présent savoir quelles sont les valeurs ou philosophies personnelles guident tes choix professionnels et personnels ?
Coïncidence pour coïncidence, tu l’as dit dans ton introduction. « Un travail opiniâtre vient à bout de tout ». Cette maxime était placardée sur un mur à l’entrée de mon établissement secondaire à Dangbo. Et chaque année à la remise des prix aux meilleurs élève, je recevais un polo avec cette phrase inscrite à l’arrière.
Elle m’a donc toujours semblé être une évidence et dicte ma conduite professionnelle, même quand je n’y pense plus. Pour le reste, j’ai pour coutume de me demander si ce que je souhaite faire plairait à la personne que je souhaite devenir. Si la réponse est affirmative, je ne me pose plus de question.
En dehors de ton travail, quelles sont tes activités préférées ?
Cela semblera évident, pour un “geek” mais je suis un incoercible bibliophile depuis toujours. Je me suis plus tard découvert une passion pour les œuvres de fiction numérique (comics, manhwas, mangas, manhuas…).
Il ne s’agit là que des exutoires différents à ma passion pour la lecture. J’aime également faire de longues promenades vespérales ou visiter des châteaux abandonnés dans les campagnes françaises. L’histoire sous toutes ses formes m’a toujours passionné.
Merci pour ce beau moment de partage, cher DD. Un mot de la fin ?
Je te remercie pour l’occasion que tu m’as offerte de parler de moi et de mon parcours. J’espère que de nouveaux passionnés de la donnée comme moi en germeront. Et je te souhaite bien du succès pour la suite. A bientôt.
8 réflexions sur “Dieu-Donné Padonou : Alumni de la bourse Eiffel et génie de la Data Engineering”
Une très belle interview. Parcours inspirant ! Bon travail Maurice.
Merci, Élias.
Très bon travail Maurice !!
Merci, Champion
Magnifique et inspirant parcours ! Chapeau !
🥰
très enrichissant, good job
Merci, Junior